N°22 1984
de George Orwell (1948)
Bonjour chez vous, je vous vois, je vous regarde, j'espionne vos moindres mouvements... Et que vois-je ? Je vois distinctement que le numéro 22 est 1984, le dernier livre de la vie de l'Anglais George Orwell (1903-1950).
Aujourd'hui nous sommes en 2001. Donc 1984, c'était il y a 17 ans. Et le roman 1984 est sorti en 1948 (pour choisir son titre, Orwell s'est contenté d'inverser les deux derniers chiffres de l'année de publication).
Orwell s'est-il trompé comme New York 1997, Cosmos 1999 ou 2001 l'Odyssée de l'espace qui n'ont pas eu lieu aux dates prévues ? Ou bien vivons-nous dans le monde qu'il décrit : un monde totalitaire dont tous les habitants sont surveillés par un Télécran? Une société où le passé est constamment réécrit, où la langue est modifiée pour en faire une novlangue, où les cerveaux sont lavés, où la vie sexuelle est réglementée, où l'on opprime les citoyens sous couvert d'amour, de paix et de tolérance ? Où tout est organisé pour nous empêcher de penser?
La réponse est : bien sûr que oui, nous y sommes. Big Brother existe : à Levallois-Perret il y a des caméras qui filment les passants dans les rues ; l'institut Médiamétrie est en train de mettre au point une caméra infrarouge pour enregistrer les réactions des téléspectateurs à leur domicile ; les web-cams sur le net retransmettent au monde entier la vie privée des gens; nous sommes fichés, traçables, photographiables par les cartes de crédit, les téléphones portables, les satellites d'espionnage et de guidage. La langue est réduite à un volapük d'un minimum de mots (quant au français, n'en parlons pas : il disparaîtra dans les décennies à venir). La publicité manipule nos désirs. Les révisionnistes effacent des millions de morts. Il existe même un jeu télévisé hollandais (distribué dans le monde entier) qui s'intitule « Big Brother », et permet de surveiller 24 heures sur 24 la vie de dix candidats reclus dans un appartement truffé de caméras.
Non, comme l'a bien vu François Brune dans son essai Sous le soleil de Big Brother (L'Harmattan), George Orwell ne s'est pas trompé : son roman prémonitoire a eu beau être influencé par les totalitarismes de son époque, nazisme et stalinisme, et par Le Meilleur des mondes d'Huxley (un British comme lui), il n'en décrivait pas moins très scrupuleusement l'évolution du monde occidental dans les 50 années à venir. Et Stan Barets, un des grands spécialistes de la science-fiction en France, a raison de se demander : « A ce point-là, est-ce encore de la fiction ou déjà du pamphlet ? »
1984 d'Orwell se lit toujours avec terreur et avidité. Ce ne sont pas seulement ses dons de voyance qui nous saisissent, mais aussi sa vision de l'avenir, qui a énormément influencé tous les arts, en particulier le cinéma et la littérature cyberpunk. Avant Orwell, le futur était lisse, chatoyant, fluorescent, c'était Flash Gordon, les Martiens, les soucoupes volantes. Après Orwell, le futur ne sera plus jamais le même : un monde carcéral, angoissant, sombre, Brazil, Blade Runner... Orwell a créé cette esthétique : le futur comme un immense goulag dont son héros, Winston Smith, ne parviendra jamais à s'échapper. Heureusement pour lui, Orwell est mort en 1950, deux ans après la publication de son livre, c'est-à-dire trop tôt pour voir à quel point il avait raison d'être pessimiste. 1984 s'achève d'ailleurs sur cette phrase : « IL AIMAIT BIG BROTHER.» Winston Smith vient d'être rééduqué, il est comme nous tous intoxiqué et soumis. Le système est victorieux quand il parvient à nous faire aimer notre prison.
Mais dites donc, il y en a un qui ne me lit pas attentivement, là, toi, oui, toi, avec tes doigts dans le nez, si tu crois que je ne t'ai pas vu. Baisse les yeux, je t'ordonne de baisser les yeux : Grand Frère te regarde. Fais attention ou je t'envoie ma Police Beigbédérienne !